Nous sommes en 1873.
Henry Bird a 43 ans et vient de passer les 6 dernières années de sa vie loin de la scène échiquéenne. Et pourtant un nouveau match contre un joueur anglais de bon niveau est annoncé. Posé sur une chaise, le cigare en bouche, il réfléchit. Que faire. Son adversaire connaît certainement mieux que lui les nouveautés théoriques élaborées au cours des dernières années. Pourquoi ne s'est-il pas tenu plus informé ? Dans un soupir, Henry comprend qu'il doit se résoudre. Son premier coup fétiche, 1.e4, avec lequel il a obtenu de si bons résultats par le passé, ne lui apporterait que des déconvenues. Pour les mêmes raisons, il est inutile de jouer 1.d4, coup qu'il n'a d'ailleurs jamais particulièrement porté haut dans son estime. Machinalement, Henry pose son cigare sur un cendrier de fortune. Sachant qu'il veut jouer agressif, que lui reste-t-il a disposition. L'idée de jouer 1.c4 le fait doucement sourire, cela ne correspond tellement pas à son tempérament. Tout à coup, en reprenant son cigare, lui vient une idée. Se remémorant ses années de jeunesse, des souvenirs de l'enseignement prodigué par Staunton apparaissent. il se rappelle que le coup 1.f4 était quelque fois joué par son maître. Oui mais pas de manière assez agressive.

« Je suis sûr de pouvoir trouver un plan plus dangereux », se dit-il machinalement.

Voila ce à quoi il allait consacrer ses prochaines soirées, trouver le fameux plan.

« L'idée de base de f4 est de contrôler e5, alors jouons sur cette idée ! », se répétait-t-il inlassablement tous les soirs. Un soir, une lueur d'inspiration lui parvient. Tout doucement, ses doigts se mettent à pousser son pion b2 en b3. Il a trouvé ce fameux plan. Son Fou de cases noires ira en b2, visant à la fois e5 et le petit roque adverse. Son Cavalier ira en e5, d'où il dominera toute la position. Ensuite l'attaque se fera d'elle-même. A partir de ce simple plan, l'ouverture Bird était née.

Un étonnant anachronisme ?

Des années plus tard sera décidé que le coup 1.f4 ne portera pas le nom du premier joueur à avoir joué cette ouverture, mais plutôt à celui qui sera parvenu à créer un plan agressif avec.

Exit les premières analyses de Greco datant de 1620. Peu importe que le danois Severin From ai trouvé dès 1864 une approche agressive de contrer le coup 1.f4 par 1…e5, ce sera à Henry Bird que sera attribué l'honneur de donner son nom à ce coup.

Les joueurs de Bird

A la découverte du nouveau plan inauguré par Bird, des joueurs de renom tels que Geza Maroczy et Mikhail Tchigorin vont ajouter ce coup comme une nouvelle arme à leur répertoire. Au début du vingtième siècle l'ouverture Bird va finalement passer de mode, les coups 1.e4 et 1.d4 étant considérés comme plus prometteurs pour les blancs. Cependant, l'ouverture garde des adeptes, Tartakover et Nimzowitch étant les plus connus. Et même Capablanca et Lasker n'hésiteront pas à jouer de temps en temps 1.f4. Ensuite il faudra passer la deuxième guerre mondiale avant de revoir cette ouverture au haut, sous la direction de Ljubojevic et Larsen principalement. Mais là encore, le grand Bobby Fischer aura également l'occasion de jouer 1.f4. De nos jours, le GMI Danielsen est un adepte de la Bird et le super GMI Morozevich joue également sur le net de nombreuses parties débutant par 1.f4. Tout cela pour démontrer que si 1.f4 est peut être moins prometteur que 1.e4 ou 1.d4, cette ouverture reste certainement valable à tout niveau.